Pascal Lapointe – Et si on résumait... (cinquième texte)


Peut-être suis-je un des rares à avoir lu tous les textes déposés au cours des derniers mois sur ce site Web interactif en prévision du colloque, et cela me laisse un goût amer. Des visions articulées, variées, passionnées... mais l’ensemble est, globalement démoralisant. Les constats sont, partout, négatifs. L’avenir est sombre. Et les pistes de solutions? Y en a-t-il?

-> L’information-spectacle est devenue dominante, se désolent tour à tour Jacques Plante, Jean-Pierre Charbonneau, Gilles Normand, Liza Frulla et Stanley Péan, ces deux derniers insistant aussi sur la superficialité et la culture du clip, tout comme Jean-Claude Lauzon et Gilles Lesage. Les médias, rappelle Louise Blanchard, sont devenus des objets de consommation, de plus en plus associés au culte de l’opinion (Frulla) et de la vedette (Blanchard, Normand), phénomène que les blogues ne pourront qu’amplifier.

-> La liberté d’expression: les journalistes semblent en voie de réprimer tout esprit critique quand leur conglomérat est concerné (Marc-François Bernier), les intérêts corporatifs ont pris le dessus (Laurent Laplante), ce sont les acteurs politiques et économiques «qui imposent l’agenda» (Plante), les lois d’accès à l’information sont grugées (Anne Pineau) et le contexte de travail - produire plus vite et pour plus d’une plateforme - élimine peu à peu la réflexion (Jean Thivierge) ou l’analyse (François Demers). Tout cela, dans un contexte où les compétences civiques de la population sont en déclin, selon Henry Milner.

-> L’évolution du marché: la transformation de l’industrie médiatique à l’heure d’Internet ne fait que commencer, soulignent Michel Nadeau, Daniel Marsolais, moi-même et François Demers. Pour ce dernier, cela entraîne «le tassement des médias généralistes, qui les pousse encore plus avant dans les conglomérats», une réorganisation des métiers et un accroissement du travail précaire (dont la pige). Certes, l’explosion des nouveaux médias (dont les blogues) pourrait se révéler «un plus» pour la démocratie. Anne-Marie Voisard en doute, elle qui souhaiterait qu’informer demeure le privilège des journalistes, tout en reconnaissant que c’est «rêver en couleur». Qui sait, demande Daniel Marsolais, si les journalistes «pros» d’aujourd’hui, ne seront pas remplacés par des «communicateurs» de toutes sortes, subissant le même sort que les typographes quand l’industrie n’a plus eu besoin d’eux...

Face à cet «âge des ténèbres» y a-t-il des pistes de solution à présenter au colloque? Pratiquement pas. Gilles Normand et Daniel Marsolais terminent leur article par l’intertitre «Que faire?», mais restent dans le vague: organiser la réflexion, se rappeler du rôle civique du journaliste... Et tous deux d’ajouter aussitôt que, hélas, les médias sont d’abord des machines à profits. Retour à la case départ.

Bernard Landry appelle à une «régulation de la liberté de presse». Isabelle Gusse et Anne Pineau proposent, plus spécifiquement, des réglementations qui obligeraient les médias à insuffler davantage d’infos d’intérêt public, ou même, limiteraient la concentration de la presse. Mais l’idée est ambitieuse, quand on se rappelle que les journalistes se braquent dès qu’il est question de réglementer leur métier - par ailleurs, si Marc-François Bernier a raison lorsqu’il voit les journalistes comme des défenseurs des intérêts de leur conglomérat, on n’est pas sorti du bois.

«S’engager comme résistant», écrit Stanley Péan. Bien. Très bien. Mais ce sont des mots creux, s’ils ne sont pas associés à une action concrète ou à un objectif précis.

Quant à moi, j’écrivais, et j’y crois plus que jamais, que pour éviter ces impasses, il y a une voie sur laquelle un consensus serait facile à obtenir, où le poids d’un syndicat, avec un lobbying efficace, aurait un impact plus rapide: l’amélioration des conditions de travail des plus précaires d’entre nous.

C’est une réflexion qui a été menée en coulisses depuis près de deux décennies, notamment à l’AJIQ. Une énorme brique, le Rapport Bernier, qui s’empoussière depuis cinq ans, contient toutes les recommandations nécessaires à un virage radical dans notre façon de traiter le travail autonome, cette frange imposante de notre société, dont l’évolution a un impact indéniable sur la qualité de l’information.

S’engager sérieusement sur cette voie - en faire une priorité, avec ce que cela implique -, serait pour ces syndicats si souvent décriés par les jeunes et les «précaires», la meilleure façon - à mon avis la seule façon - de «promouvoir les solidarités à l’intérieur du secteur des médias» qu’espère François Demers. Et, en travaillant à garder dans le métier des jeunes bourrés de talent, on contribuerait à l’émergence d’une future génération de ces «champions de la réflexion, du rejet de l’arbitraire et de l’absolu» qu’appelle de tous ses voeux Stanley Péan.


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Pascal Lapointe est journaliste depuis une vingtaine d'années. Il est toujours demeuré près du milieu de la pige, comme pigiste lui-même, comme rédacteur en chef de l'Agence Science-Presse, petit média à but non lucratif et porte d'entrée pour les débutants, où il a contribué à former de nombreux journalistes, et à titre de membre du conseil d'administration de l'AJIQ dans les années 1990 et 2000. Il est co-auteur du livre Les nouveaux journalistes: le guide. Entre précarité et indépendance (PUL, 2006).

1 commentaire:

lutopium a dit…

Vous n'êtes maintenant plus le seul à avoir lu tous les textes de ce blogue... J'en ferai un modeste compte-rendu sur le blogue "Un homme en colère" (http://uhec.net) plus tard en soirée. Rien de compliqué, certains extraits des excellents articles publiés sur votre blogue. Bonne fin de semaine!