Jacques Plante – La confusion des genres à RDI


Le temps passe et RDI apparaît comme une vaste plage de temps d’antenne gratuite mise à la disposition des partis politiques et groupes d’intérêts qui veulent s’en servir sans cadre ni balise. C’est la confusion des genres. Est-ce un spectacle ou de l’information?

Par exemple, Le Club des Ex. Ils se prononcent sur tout et sur rien et nous disent quoi penser. Québec et Ottawa s’ajustent, personne ne marche sur les pieds des autres. Chacun attend sagement son tour avant d’entrer directement dans mon salon, sans intermédiaire. Quand la chef du PQ s’adresse en direct au chef de l’ADQ qui, lui, parle au chef du Parti libéral du Québec, il y a moins de temps pour les questions des journalistes. On saute d’un événement, d’une déclaration à l’autre. Le message est conçu pour se rendre directement à l’auditoire, sans filtre. Quelles sont les normes et pratiques journalistiques de Radio-Canada à ce sujet?

Ce sont les intervenants qui imposent l’agenda. Si le premier ministre fait une déclaration à Ottawa, RDI, par entente tacite ou négociée, coupe une entrevue ou une discussion en ondes et passe cette déclaration en direct. Si on a le temps, on laisse des questions aux journalistes. Trop souvent, on ne vide pas le sujet parce qu’un autre intervenant attend, dans une autre ville, pour passer son message. Comment le public peut-il juger de la qualité et de l’intégrité du contenu?

Sous des apparences de CNN, RDI c’est, surtout, remplir du temps d’antenne. Plus, ça ressemble à des «plugs» qui se multiplient et se répètent d’heure en heure. Et si on s’en prive, va-t-on manquer quelque chose d’indispensable? Pas certain.

C’est l’usine, la machine à saucisses, n’importe quoi. Au cas où on ne comprendrait pas, un journaliste nous résume les propos tenus en ondes une minute avant. Si ce n’est pas assez clair, RDI Junior va encore le répéter avec, en prime, le même sujet au TJ. Lourd, très lourd.

Mais l’antenne est occupée. Un sociologue, un penseur, un autre lologue, un comédien, un universitaire, un spécialiste de l’image, plus un vox-pop et une tribune téléphonique, donc de la radio, là on est en affaires. Insérez quelques images d’un drame aux États-Unis et une adresse «web» où voir un carnage à peine en différé et c’est le délire.

Dans tout cela, où sont les politiques de la SRC en matière d’éthique, de transparence et de rigueur? RDI serait-elle aussi une chaîne de variétés? Sans parler de la qualité du français qui est en chute libre. À trop vouloir ressembler à ses concurrents privés, Radio-Canada se dénature et ne parvient pas nécessairement à les concurrencer. À l’antenne, c’est devenu la guerre des déclarations, des opinions, des ballons, au détriment des faits.

Les journalistes de Radio-Canada ne pourront changer seuls cette situation. Leur charge de travail augmente et ils doivent produire de plus en plus vite, sans filet. Je n’ai pas LA solution, LA réponse. Peut-être que je suis dépassé et que je ne comprends rien à cette manière «d’informer», d’exercer le métier. Ce qu’on sait cependant, c’est que le concept de livraison du message directement dans le salon de l’électeur-contribuable, avec le moins de journalistes possible dans les jambes, était en gestation depuis au moins 15 ans. À l’époque, le créneau n’existait pas.


RDI, réseau de l’information et non pas réseau de nouvelles. C’est aussi pour ça qu’on y retrouve un joyeux mélange. Qui plus est, les reportages, hors bulletin de nouvelles, s’étirent, se multiplient. Par exemple, sur les nids de poule, l’Halloween, le Boxing Day, la tempête, quand ce n’est pas l’après-tempête ou celle qui s’en vient! Sans oublier une entrevue avec un météorologue pour nous dire qu’il pleut. Les commissions qui n’en finissent plus. L’affaire Mulroney-Schreiber. Finalement on a LE SUJET pour remplir l’antenne: la crise du verglas 10 ans plus tard. On a étiré la sauce avec une semaine de rappels et de répétitions. RDI donne aussi dans le service et le divertissement.

Pendant ce temps, lentement mais sûrement, les salles de nouvelles radio et télé régionales ferment ou s’éteignent, notamment sous l’effet de la concentration de propriété.

Mais, à l’occasion, cette façon de faire de RDI permet de découvrir certains talents. Les journalistes sont moins coincés dans le seul reportage du TJ. Malgré la pression du direct de dernière minute, nombreux sont ceux et celles qui se tirent très bien d’affaires en direct et qui ajoutent un commentaire, un mot d’humour, de vie, d’émotion. Ça aussi c’est un changement.


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Jacques Plante a commencé sa carrière de journaliste en 1966 à CJRC (Ottawa) après des études en lettres, comptabilité et cinéma à Québec et un stage au Centre de formation et de perfectionnement des journalistes à Paris. Après un passage à CHRC (Québec), il fait, en 1970, son entrée à la salle des nouvelles de Radio-Canada à Québec, où il travaille autant pour la radio que la télévision jusqu’en 2000. Pendant la moitié de ces 30 années passées à la Société d’État, il a assuré la couverture parlementaire. Depuis qu’il a pris sa retraite du journalisme, il travaille comme consultant et formateur en communications.

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